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A69 : comment lâautoroute a ignorĂ© les rappels Ă lâordre de lâĂtat
Mediapart a eu accĂšs Ă des courriers Ă©changĂ©s entre lâadministration et Atosca, le concessionnaire de lâautoroute contestĂ©e entre Castres et Toulouse. Ils documentent le passage en force de lâentreprise pour dĂ©boiser des zones pourtant protĂ©gĂ©es. Trois nouvelles plaintes ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es cet Ă©tĂ© en lien avec les chantiers.
Jade Lindgaard, 5 août 2024 à 10h53
Au nom dâune autoroute, jusquâoĂč une entreprise est-elle autorisĂ©e Ă aller dans la dĂ©sobĂ©issance Ă la loi ? Câest la question que posent des documents issus de lâadministration et obtenus par Mediapart dans le dossier contestĂ© de lâA69.
Ils concernent dâabord le dĂ©boisement du site de la CrĂ©made, Ă SaĂŻx, dans le Tarn. En fĂ©vrier, des activistes avaient occupĂ© ce bois pour empĂȘcher lâabattage dâarbres. Pour les faire partir, les gendarmes avaient utilisĂ© des mĂ©thodes particuliĂšrement brutales : blocage de leur approvisionnement en nourriture, perturbation pendant leur sommeil, arrestations violentes, usage disproportionnĂ© de grenades lacrymogĂšnes, dĂ©versement de produits inflammables au pied dâarbres occupĂ©s. Au point que le rapporteur spĂ©cial de lâONU sur les dĂ©fenseurs de lâenvironnement, Michel Forst, sâĂ©tait rendu sur place et avait exprimĂ© ses « vives prĂ©occupations » auprĂšs du gouvernement.
Pour justifier leur action, les militant·es sâappuyaient sur lâarrĂȘtĂ© prĂ©fectoral autorisant les travaux. Sâil donne le feu vert pour construire les 54 km de route, il classe certaines parcelles à « enjeu Ă©cologique fort » et leur accorde de ce fait une protection renforcĂ©e. Câest le cas du bois de la CrĂ©made oĂč six espĂšces de chiroptĂšres (des chauves-souris) ont Ă©tĂ© repĂ©rĂ©es. Le pigeon colombin, un animal rare et reconnu dâintĂ©rĂȘt patrimonial, y est aussi observĂ©. Tout comme la salamandre tachetĂ©e et la mĂ©sange Ă longue queue.
Mais Atosca, lâentreprise concessionnaire de lâautoroute entre Castres et Toulouse, nâa eu de cesse dâaffirmer que le site avait Ă©tĂ© dĂ©classĂ© et ne reprĂ©sentait plus dâenjeux environnementaux majeurs â y compris devant les parlementaires qui ont auditionnĂ© ses reprĂ©sentants en avril. Et quâelle pouvait donc tronçonner les arbres en toute lĂ©galitĂ©.
Câest pourtant tout lâinverse que rĂ©vĂšlent les courriers et les rapports de la police de lâenvironnement que nous avons pu consulter : les services du ministĂšre de lâĂ©cologie, de la prĂ©fecture du Tarn et de lâOffice français de biodiversitĂ© (OFB) ont rappelĂ© Ă lâordre lâentreprise Ă de nombreuses reprises pour ses manquements aux obligations que lui imposait le dĂ©cret dâautorisation du chantier.
Le 20 fĂ©vrier, le directeur de la Dreal, lâantenne du ministĂšre de lâĂ©cologie en Occitanie, Patrick Berg, Ă©crit au directeur gĂ©nĂ©ral dâAtosca, Martial Gerlinger, pour le prĂ©venir que certaines zones oĂč son entreprise prĂ©voit de dĂ©boiser « ne peuvent pas Ă [son] sens ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme Ă moindre enjeu » environnemental Ă cette pĂ©riode de lâannĂ©e.
En effet sây trouvent des arbres oĂč habitent des chiroptĂšres (des chauves-souris), des oiseaux et des Ă©cureuils roux. Le reprĂ©sentant de lâĂtat lui demande, de plus, de ne pas couper les boisements et alignements dâarbres qui nâont pas encore Ă©tĂ© inspectĂ©s par le bureau dâĂ©tudes Biotope. Et termine sa lettre en rappelant le maĂźtre dâouvrage Ă ses responsabilitĂ©s : ses travaux doivent « rigoureusement » respecter leur arrĂȘtĂ© dâautorisation.
« Aucun abattage ne doit avoir lieu »
Trois jours plus tard, nouveau courrier : lâentreprise a bien envoyĂ© Ă lâadministration le rapport dâun Ă©cologue. Mais il est trop imprĂ©cis, notamment sans cartographie, pour ĂȘtre validĂ©. Surtout, la Dreal a Ă©tĂ© prĂ©venue par lâOFB que 32 arbres avaient Ă©tĂ© abattus dans le bois de la CrĂ©made, celui quâil sâagissait de protĂ©ger.
Le 5 mars, le directeur de la Dreal envoie un nouveau courrier au constructeur de lâautoroute : il ne valide pas lâĂ©valuation Ă©cologique des sites quâa Ă©tablie lâentreprise. Et pour que les choses soient trĂšs claires, il Ă©numĂšre la liste prĂ©cise des parcelles qui peuvent ĂȘtre dĂ©boisĂ©es. Celles qui « ne peuvent pas ĂȘtre dĂ©boisĂ©es Ă cette pĂ©riode » - les caractĂšres sont en gras â jusquâau 1er septembre. Et celles oĂč « aucun abattage ne doit avoir lieu » avant validation par lâadministration.
Il prĂ©vient en outre Atosca que le retrait de nids dâoiseaux et lâobstruction de cavitĂ©s dans les arbres pour les empĂȘcher dây habiter ne sont pas autorisĂ©s, puisque la loi demande de prĂ©server les habitats des espĂšces protĂ©gĂ©es, et non de les faire fuir.
Dans un autre courrier du mĂȘme jour, le reprĂ©sentant du ministĂšre de lâĂ©cologie en Occitanie insiste auprĂšs dâAtosca : « Je vous demandais de prĂ©server ces arbres. » DĂ©sormais il est trop tard : « le secteur » ne reprĂ©sente plus dâ « enjeu rĂ©siduel » car ce qui devait y ĂȘtre protĂ©gĂ© a Ă©tĂ© dĂ©truit.
La Dreal en conclut donc que ces opĂ©rations nâont pas Ă©tĂ© conformes au droit et transmet Ă Atosca un premier rapport de manquement administratif - une forme de procĂšs-verbal constatant le non-respect dâun rĂšglement. Concernant lâabattage non autorisĂ© des 32 arbres du bois de la CrĂ©made : les coupes des 21 et 23 fĂ©vrier dans le bois de la CrĂ©made â celui qui avait Ă©tĂ© occupĂ© par les activistes â ont eu lieu « sans validation de la Dreal ». Les impacts sont directs sur la nidification des espĂšces protĂ©gĂ©es alors que celle-ci Ă©tait « trĂšs probable » et mĂȘme « imminente ». De plus, des cavitĂ©s ont Ă©tĂ© obturĂ©es pour faire fuir les chiroptĂšres, ce qui est contraire Ă ce que demandait lâarrĂȘtĂ© prĂ©fectoral, et Ă ce que demandait spĂ©cifiquement la Dreal dans son prĂ©cĂ©dent courrier.
Le 21 mars, Atosca rĂ©pond au Dreal. Lâentreprise maintient sa position, considĂ©rant quâelle pouvait dĂ©boiser car ses « reconnaissances » sur le terrain nâont pas montrĂ© dâenjeux Ă©cologiques particuliers. Lâexplication quâelle en donne est dâailleurs rĂ©vĂ©latrice : des zones ont Ă©tĂ© « dĂ©favorabilisĂ©es », câest-Ă -dire quâelles ont perdu leur caractĂšre hospitalier pour les espĂšces protĂ©gĂ©es, en raison des nombreux travaux prĂ©paratoires et de lâabattage de boisements contigus. Autrement dit, les chantiers liĂ©s Ă lâautoroute, avec leur bruit, leurs vibrations et leur dĂ©but de destruction de lâĂ©cosystĂšme avaient dĂ©jĂ fait fuir une partie des animaux.
Comment expliquer que les constructeurs de lâA69 se soient sentis autorisĂ©s Ă braver les alertes des services de lâĂtat ? SollicitĂ© par Mediapart, Atosca a dit ne pas ĂȘtre en mesure de rĂ©pondre, son directeur Ă©tant en congĂ©. Bien quâil ait donnĂ© une confĂ©rence de presse le matin mĂȘme de notre demande.
Mais dans son courrier du 21 mars, il apporte un argument supplĂ©mentaire et surprenant : les coupes de la CrĂ©made « ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sous lâinjonction des forces de lâordre, devant des dĂ©buts dâoccupation ou tentatives dâoccupation des arbres par des opposants ».
DĂ©jĂ 250 millions dâeuros dĂ©pensĂ©s
La prĂ©fecture du Tarn, qui commandait les opĂ©rations, avait pourtant Ă©tĂ© destinataire des courriers de la Dreal expliquant que ces coupes contrevenaient au droit. InterrogĂ©e Ă ce sujet par Mediapart le 1er aoĂ»t, elle nous invite à « poser [nos] questions Ă Martial Gerlinger » le directeur dâAtosca. Michel Vilbois, prĂ©fet du Tarn au moment de ces Ă©vĂ©nements, a depuis Ă©tĂ© dĂ©mis de ses fonctions en raison de son management brutal.
Devant la commission dâenquĂȘte parlementaire sur lâA69, le dirigeant dâentreprise avait dĂ©jĂ dĂ©clarĂ©Â au sujet de cet Ă©pisode avoir fait couper « quelques arbres », et cela « Ă la demande des forces de lâordre » et « compte tenu dâenjeux de sĂ©curisation et de complexitĂ© de gestion du site ».
Lors de sa confĂ©rence de presse du 31 juillet, il a affirmĂ© avoir « tous les feux au vert » pour la poursuite le chantier, en dĂ©pit du « moratoire sur les grands projets dâinfrastructures autoroutiĂšres » promis par le Nouveau Front populaire dans son programme. « Nous considĂ©rons que nous ne sommes plus un projet, mais un chantier trĂšs actif, avec 250 millions dĂ©jĂ dĂ©pensĂ©s », a ajoutĂ© le dirigeant. La mise en service de lâA69 est toujours annoncĂ©e pour fin 2025.
Plusieurs associations (dont France Nature Environnement Occitanie PyrĂ©nĂ©es, le Groupe national de surveillance des arbres, les Amis de la terre de Midi-PyrĂ©nĂ©es) ont dĂ©posĂ© plainte le 16 juillet contre X avec constitution de partie civile mi-juillet pour les faits qui se sont dĂ©roulĂ©s Ă la CrĂ©made. Les qualifications pĂ©nales visĂ©es sont : destruction et atteinte Ă la conservation dâespĂšces en dehors du cadre autorisĂ©, avec la circonstance aggravante de la bande organisĂ©e.
Deux autres plaintes ont Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es : lâune pour faux et usage de faux, trafic dâinfluence et prise illĂ©gale dâintĂ©rĂȘt concernant une autre partie du chantier, et lâautre pour faux et usage de faux, risque causĂ© Ă autrui et entrave au libre Ă©coulement dâun cours dâeau â concernant un risque dâinondation. « Nous demandons un moratoire sur le projet de lâA69 et la suspension des travaux sur lâintĂ©gralitĂ© du tracĂ© pour quâun contrĂŽle rigoureux des services de lâĂ©tat puisse ĂȘtre fait » Ă©crivent les associations requĂ©rantes dans un communiquĂ© du 5 aoĂ»t.
Mais ce nâest pas tout. Car au total, lâentreprise construisant lâA69 a reçu pas moins de huit rapports de manquement administratif entre le 17 octobre 2023 et le 21 mai 2024. RĂ©digĂ©s par des agents de lâOffice français de biodiversitĂ© (OFB), ils Ă©numĂšrent les entorses au dĂ©cret dâautorisation des travaux quâils ont constatĂ© lors de leurs visites dâinspection. Elles sont nombreuses.
Le 17 octobre 2023 : 19 arbres ont Ă©tĂ© abattus « malgrĂ© leur statut Ă Ă©viter », le balisage manque sur 74 % des arbres, des troncs sont entassĂ©s au sol et exposĂ©s au risque de moisissure. Une semaine plus tard, nouveau contrĂŽle : des arbres oĂč habitent des grands capricornes, un colĂ©optĂšre protĂ©gĂ©, ne sont pas signalĂ©s. En bordure de chantier, 136 arbres et arbustes ont Ă©tĂ© abattus. Un milieu sensible est « altĂ©ré » par le passage des engins de travaux.
Le 5 dĂ©cembre, ce sont cette fois des agents de la direction dĂ©partementale des territoires (DDT), un service de la prĂ©fecture du Tarn, qui conduisent un contrĂŽle inopinĂ© du chantier. Ils en dĂ©crivent lâimpact sur des cours dâeau : « altĂ©rations » des berges et comblement dâune partie du lit du Verdier, sur 20 mĂštres.
Conséquences « majeures et irréversibles »
Le 26 mars 2024, nouveau contrĂŽle par des agents de la DDT â programmĂ© cette fois. De nouvelles non-conformitĂ©s sont constatĂ©es : dysfonctionnements dans la gestion des eaux pluviales, travaux de dĂ©rivation non dĂ©clarĂ©s sur un cours dâeau.
Deux jours plus tard, câest lâOFB qui verbalise de nouveau lâentreprise : la majoritĂ© des sujets contrĂŽlĂ©s sont conformes Ă la rĂ©glementation (65 %) mais certaines non-conformitĂ©s sont « majeures et irrĂ©versibles ou difficilement rĂ©versibles », comme la coupe dâarbres et de boisements qui Ă©taient Ă Ă©viter.
Le 24 avril, la DDT vient contrĂŽler les prĂ©lĂšvements en eau sur le chantier : elle est puisĂ©e dans le cours dâeau du Rivalou sans dĂ©claration prĂ©alable. Deux jours plus tard, de nouveaux problĂšmes de gestion des eaux pluviales sont constatĂ©s sur le chantier. Le 21 mai, dâautres manquements sont observĂ©s, notamment concernant un risque de pollution par dĂ©versement.
Pour Gilles Garric, du collectif la Voie est libre opposĂ© Ă lâA69, « tout cela montre quâAtosca fait nâimporte quoi et ne respecte pas lâarrĂȘtĂ© prĂ©fectoral alors quâils prĂ©tendent faire une autoroute vertueuse ».
Christine Arrighi, dĂ©putĂ©e EELV de Haute-Garonne, et rapporteuse de la  commission dâenquĂȘte parlementaire sur le montage juridique et financier de lâA69, affirme : « Je ne peux pas imaginer un seul instant quâil nây ait pas au ministĂšre des transports un dossier avec la liste de projets autoroutiers devant ĂȘtre revus ou abandonnĂ©s. Ce projet, qui ne prend Ă aucun moment au sĂ©rieux la piste dâune alternative ferroviaire, est issu dâun logiciel des annĂ©es 70. Il est impossible que le gouvernement ne se soit pas Ă un moment posĂ© la question de le maintenir. » Elle espĂšre que la commission pourra terminer ses auditions et publier son rapport Ă la rentrĂ©e.
Sur le tracĂ© de lâautoroute, dĂ©but aoĂ»t, trois sites sont toujours occupĂ©s par des opposant·es, qui appellent Ă les rejoindre pour un festival baptisĂ© « Ciao A69 ». De son cĂŽtĂ© Atosca annonce vouloir reprendre lâabattage des arbres le 1er septembre : « Nous avons dĂ©jĂ coupĂ© 95 % des arbres nĂ©cessaires au tracĂ© de lâautoroute, il ne reste que quelques hectares Ă abattre », a dĂ©clarĂ© son directeur gĂ©nĂ©ral.
Au vu des courriers dévoilés par Mediapart, on comprend pourquoi.
Mais quel putain de scandale ce truc⊠Tous les connards impliquĂ©s devraient ĂȘtre jugĂ©s et envoyĂ©s en taule. Faut arrĂȘter de faire des ronds de jambes avec des personnes pareilles, ils nâont aucun scrupule et nâauront de regret que de ne pas avoir pu faire plus et de prendre un plus gros chĂšque Ă la fin.
La complicitĂ© de lâĂtat est cousue de fil blanc. Ă mon avis il y aura potentiellement un procĂšs des annĂ©es aprĂšs la fin du chantier, avec Ă la clef des peines symboliques.