Léguer une société plus inclusive. Telle est l’ambition affichée des Jeux olympiques et paralympiques, surtout dans une capitale française critiquée pour le manque d’accessibilité de son métro et de ses sites pour les personnes handicapées. Charlotte Puiseux, docteure en philosophie et militante «handi-féministe», alerte sur un certain «discours médiatique» faisant des parathlètes des personnes extraordinaires, occultant autant leur performance que, plus généralement, «les problématiques sociales du handicap».

Que pensez-vous des propos de Teddy Riner qui a qualifié les parathlètes de super-héros ?

L’un des gros problèmes des Jeux paralympiques, c’est la super-héroïsation des athlètes handicapés. Le discours médiatique est celui d’une mise en scène de ces personnes dans des destinées de dépassement de soi, de transcendance de son handicap et de «leçon de vie» au détriment de la performance sportive. Toutes ces expressions, qui partent d’un bon sentiment des journalistes, participent à un discours validiste qui déshumanise les personnes handicapées. Une déshumanisation par le haut, car positive, mais qui les sort de l’humanité. Or, nous nous battons justement pour avoir les mêmes droits et opportunités que les personnes valides, et n’être ni discriminés, ni super-héroïsés. A lire aussi Les Jeux paralympiques, l’heure de rappeler que «les personnes handicapées n’ont pas pour but d’inspirer» Jeux olympiques et paralympiques 1er sept. 2024

L’autre difficulté, c’est que ces discours mettent l’accent sur la volonté des individus, en racontant que les parathlètes qui l’ont voulu s’en sont sortis, ce qui pousse à faire croire que «quand on veut, on peut». Cela occulte les problématiques sociales du handicap. Si on dit que ces personnes handicapées ont réussi par leur volonté, cela voudrait-il dire que si d’autres sont discriminées au travail, dans la recherche d’un logement et si elles n’ont pas de vie affective ou sexuelle, c’est parce qu’elles ne veulent pas assez s’en sortir ? On voit bien qu’on met de côté toutes les discriminations systémiques dans ce discours.

Les Jeux olympiques sont-ils une compétition validiste ?

Oui, dans leur ensemble, les Jeux olympiques sont validistes. Comme il y a une culture de la performance et que les résultats des athlètes handicapés sont moins élevés que ceux des valides, cela discrimine les parathlètes. Je pense qu’il faut donc déconstruire cette compétitivité, cette idée de pousser les corps à l’extrême, de vouloir des performances toujours meilleures, plus grandes, plus hautes. Cela me semble d’autant plus important quand on constate les dégâts que cela peut entraîner sur la santé. Des personnes valides ont déjà fini handicapées à cause de surmenages ou d’excès d’entraînement.

Les JO sont organisés dans une société capitaliste de la culture de la performance et de la compétitivité, sur fond d’enjeux économiques, politiques, de nettoyage social ou de contrôles policiers. C’est la même chose pour les Jeux paralympiques, même si ces derniers ont au moins le mérite de représenter des athlètes handicapés. Mais bien sûr, comme l’imaginaire des spectateurs donne priorité à la performance, ils ne prendront pas la même place que les JO.

Faut-il fusionner les Jeux olympiques et paralympiques pour lutter contre ce problème ?

C’est une question qui revient souvent, mais dont la réponse n’est pas si simple. D’un point de vue de spectatrice, c’est assez frustrant de voir que les Jeux paralympiques sont organisés après et que la couverture médiatique, même si elle tend à s’améliorer depuis Londres en 2012, reste moindre que celle des JO.

Mais comme l’explique la parathlète de badminton Milena Sureau, un mélange des deux Jeux se ferait sûrement au détriment des Paralympiques. Cette dernière prend pour exemple une conférence de presse mélangée, à laquelle elle a participé, et où les journalistes ne se sont tournés quasiment que vers les valides. Si vous mettez un ou une parathlète à côté de Léon Marchand, il ou elle aura beau avoir gagné toutes les médailles possibles, il n’y aura pas de comparaison. On vit dans une société validiste qui accorde plus d’intérêts aux valides, alors fusionner les Jeux risquerait de supprimer cet espace médiatique réservé aux handicapés.

De manière générale, dans nos sociétés néolibérales et capitalistes, on se doit de garder un petit espace pour les cultures minoritaires, que ce soit les personnes handicapées, les personnes queers, ou d’autres catégories. Mais il faut garder en tête que, par définition, les catégories dominantes ne les rendront jamais égales, cela amènerait à leur autodestruction.

Comment appréhender ces Jeux paralympiques, alors ? Faudrait-il les boycotter ?

Je ne sais pas quelle est la meilleure position à adopter, mais je pense qu’il faut avoir pleinement conscience de ce validisme, pleinement écouter les parathlètes et refuser le discours des politiques qui se servent de l’événement. Et nous, personnes handicapées, devons profiter de l’espace médiatique qui est offert pour dénoncer les validistes, le manque d’accessibilité, notamment dans la ville de Paris.

Vous êtes docteure en philosophie. Si on essaie de prendre un peu de distance, comment est-ce que la philosophie grecque abordait ces questions du handicap ?

En Grèce antique, on estimait que les corps étaient représentatifs de l’âme intérieure. Et donc que les personnes étaient handicapées physiquement car leurs âmes étaient mauvaises. Il y a donc un lien qui était fait entre l’âme et le corps. Aujourd’hui, on est encore un peu bloqué sur cette idée. De façon moins brutale sûrement, mais il y a dans l’inconscient collectif l’idée que les déformations physiques sont le reflet d’un mauvais comportement. Ce qui revient à dire que les personnes handicapées sont responsables de leur corps et qu’on peut dédouaner la société. Or renvoyer la question du handicap à l’individu demeure très problématique.