Alors que ce mois d’octobre marque les quarante ans de son incarcĂ©ration, une nouvelle demande de libĂ©ration de George Ibrahim Abdallah a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e par son avocat et comme tous les ans une manifestation Ă  Lannemezan (65) sera organisĂ©e. Retour sur cette affaire et sur ce quelle Ă©claire de notre Ă©poque.

Georges Ibrahim Abdallah est un militant communiste libanais. En 1979 il participe Ă  la crĂ©ation de la Fraction ArmĂ©e RĂ©volutionnaire Libanaise (FARL), organisation se dĂ©clarant communiste et anti-impĂ©rialiste dont il dirige les opĂ©rations en France. En 1982, les FARL revendiquent l’assassinat du lieutenant-colonel Charles R. Ray, attachĂ© militaire amĂ©ricain Ă  Paris, et de Yacov Barsimentov, deuxiĂšme conseiller Ă  l’ambassade d’IsraĂ«l, membre du Mossad. Des « actes de rĂ©sistance armĂ©e » en rĂ©action Ă  l’agression militaire israĂ©lienne du Liban appuyĂ©e par les États-Unis [1]. C’est la dĂ©fense utilisĂ©e par Georges Abdallah pendant son procĂšs.

Une justice impérialiste

ArrĂȘtĂ© et incarcĂ©rĂ© en 1984, il n’est inculpĂ© que de faux et usage de faux le 6 mars 1985. Les autoritĂ©s amĂ©ricaines et israĂ©liennes exercent de vives pressions afin de faire alourdir sa condamnation. La dĂ©couverte d’une arme ayant servi aux assassinats dans une des planques des FARL conduit Ă  son jugement par la cour d’assise spĂ©ciale pour complicitĂ© d’assassinat le 28 fĂ©vrier 1987. AccablĂ© par la presse (notamment par le Monde sous la plume d’un certain Edwy Plenel ! qui n’a reconnu que bien rĂ©cemment avoir Ă©tĂ© trompĂ© [2]) la cour le condamne Ă  la perpĂ©tuitĂ©. En 1987 sort un livre confession dans lequel Jean-Paul Mazurier, avocat de Georges Ibrahim Abdallah, raconte qu’il travaillait en rĂ©alitĂ© pour la DGSE [3]. Pourtant la validitĂ© du procĂšs ne sera pas remise en cause. LibĂ©rable depuis 1999 selon le droit français, entre 2004 et 2020 neuf de ses demandes de libĂ©ration conditionnelle ont Ă©tĂ© refusĂ©es.

Le 21 novembre 2012 le tribunal d’application des peines prononçait un avis favorable Ă  sa demande de libĂ©ration auquel accĂšde la chambre d’application des peines en la conditionnant Ă  un arrĂȘtĂ© d’expulsion. Laurent Fabius, ministre des Affaires Ă©trangĂšres, reçoit Ă  l’époque un coup de tĂ©lĂ©phone de son homologue amĂ©ricaine Hillary Clinton, qui lui demande de ne pas lui rendre la libertĂ© [4]. Manuel Valls, alors ministre de l’IntĂ©rieur, refuse de signer l’arrĂȘtĂ© d’expulsion le 14 janvier 2013. La dĂ©cision de libĂ©ration est annulĂ©e en avril 2013 par la Cour de Cassation. Jacques VergĂšs son avocat dĂ©noncera « le gouvernement des États-Unis qui oppose un veto intolĂ©rable Ă  sa libĂ©ration » [5] . En juin 2023, son nouvel avocat Jean-Louis Chalanset annonce faire une nouvelle demande de libĂ©ration. Elle sera Ă©tudiĂ©e en audience Ă  huit clos le 7 octobre prochain.

De quoi Georges Ibrahim Abdallah est-il le nom ?

Soutenir Georges Ibrahim Abdallah c’est aussi se rappeler son combat. Il est instituteur lorsque commence la guerre civile libanaise de 1975-1990 oĂč les responsabilitĂ©s historiques de la France sont importantes. Le Liban est placĂ© sous mandat français Ă  partir de 1920 suite au dĂ©membrement de l’Empire ottoman, jusqu’à son indĂ©pendance en 1943. La France s’y appuie sur les chrĂ©tiens maronites comme population alliĂ©e. De ce mandat Ă  accouchĂ© le systĂšme institutionnel libanais communautaire oĂč durant 30 ans les maronites ont dominĂ© politiquement et Ă©conomiquement le pays.

Cette histoire coloniale française rencontre celle du colonialisme sioniste qui voit la rĂ©sistance palestinienne s’installer au Liban oĂč le nombre de rĂ©fugié·es palestinien·nes de la Nakba est trĂšs important. La minoritĂ© maronite est alors inquiĂšte de perdre son hĂ©gĂ©monie. En effet, aprĂšs des annĂ©es de luttes des classes importantes, les groupes d’extrĂȘme gauche libanais entrent en connexion avec la rĂ©sistance palestinienne. Ce sera le cas pour Georges qui s’engage d’abord au sein du FPLP motivĂ© par la cause palestinienne, puis participe Ă  la guĂ©rilla au Liban du sud.

Se rappeler de Georges c’est se rappeler de cette histoire oubliĂ©e mais aussi d’une dĂ©cennie, les annĂ©es 80, qui est cruciale : elle verra se dĂ©rouler l’invasion israĂ©lienne du sud-Liban, durant laquelle seront notamment commis les massacres de Sabra et Chatila ; mais aussi l’ingĂ©rence amĂ©ricaine et française dans une rĂ©gion clef de la mĂ©diterranĂ©e et des ressources Ă©nergĂ©tiques du Moyen-Orient [6]. Les annĂ©es 80 sont aussi le moment du tournant nĂ©olibĂ©ral du capitalisme et du redĂ©ploiement de l’impĂ©rialisme occidental, les deux allant de pair, participant Ă  ancrer l’islamophobie dans la sociĂ©tĂ© française : Gaston Defferre, ministre de l’IntĂ©rieur, taxera par exemple en 83 d’ « intĂ©gristes, de chiites » les grĂ©vistes immigrĂ©s de Renault-Flins, durant la pĂ©riode oĂč la France combat les milices chiites au Liban.

L’histoire de Georges commence au dĂ©but de cette phase historique de la mondialisation occidentale triomphante qui touche violemment Ă  sa fin aujourd’hui avec le gĂ©nocide en cours Ă  Gaza. Se battre pour sa libĂ©ration inscrit les combats anti-impĂ©rialistes d’hier et d’aujourd’hui dans une continuitĂ©.

Liberté pour les prisonniers et prisonniÚres politiques

L’acharnement français et amĂ©ricain Ă  maintenir Georges en prison est rĂ©vĂ©lateur du systĂšme de rĂ©pression impĂ©rialiste. C’est pourquoi la lutte pour la libĂ©ration des prisonnier·es politiques est une bataille anticolonialiste de premier plan, et ils sont nombreux : Mumia Abu Djamal et LĂ©onard Pelletier aux USA, Ahmed Saadat et Marwan Bargouthi en IsraĂ«l, Ocalan en Turquie et tant d’autres. Au-delĂ  de la solidaritĂ© naturelle pour les camarades victimes de rĂ©pression, il s’agit de faire payer cher la rĂ©pression contre le moindre d’entre nous aussi longtemps qu’il faut.

Rappelons les campagnes internationales pour la libĂ©ration d’Angela Davis, ou la campagne « Free Huey » en soutien Ă  Huey P. Newton du Black Panthers Party, oĂč chaque comitĂ© de soutien permettra le dĂ©veloppement du BPP. Chaque mobilisation en faveur des prisonniers est une occasion d’éducation politique et de dĂ©masquer la nature fĂ©roce des Ă©tats dit « de droit » !

De ce fait cette année plusieurs initiatives en France ont eu lieu pour Georges les 6 avril dernier à Lannemezan, le 15 juin à Lyon. Soyons donc toutes et tous présentes le 7 octobre pour exiger sa libération !

Nicolas Pasadena (Commission antiraciste)

[1] « Terroriste » un jour, terroriste toujours ? », Pierre Carles dans Le Monde diplomatique, 1er aoĂ»t 2020. [2] Les derniers secrets de l’affaire George Ibrahim Abdallah, France inter, 22 juin 2024. [3] L’agent noir, une taupe dans l’affaire Abdallah, Laurent Gally, Ă©dition Robert Laffont. [4] « LibĂ©ration de Georges Ibrahim Abdallah : comment Clinton a tentĂ© de faire pression sur Fabius », ArrĂȘt sur images, 20 janvier 2016. [5] « Acharnement judiciaire contre M. Georges Ibrahim Abdallah : Un prisonnier politique expiatoire », Le Monde diplomatique, mai 2012. [6] C’est durant cette guerre meurtriĂšre de 15 ans que les phalangistes, milices fascistes maronites commettront des exactions comme celles de Sabra et Chatilla, sous l’Ɠil de Tsahal