ENTRETIEN EXCLUSIF - AprĂšs les Ă©meutes, «le pronostic vital du pays est engagé», affirme lâancien directeur gĂ©nĂ©ral de la DGSE au Figaro Magazine.
DGSE frĂšre. Je suis sĂ»re quâil a aussi une opinion sur lâexploration spatiale et pourquoi pas aussi sur la recherche contre Alzheimer.
Les arguments devraient ĂȘtre jugĂ©s bons ou mauvais indĂ©pendamment du messager.
Mais puisque lâon parle de lui, la DGSE reprĂ©sente 6 de ses 40 annĂ©es de carriĂšre. Il est dâabord et avant tout un haut fonctionnaire français qui a roulĂ© sa bosse et a Ă©tĂ© tĂ©moin des changements de la sociĂ©tĂ© française depuis le dĂ©but de sa carriĂšre en 1968.
Câest dommage, avec un CV comme celui-lĂ , dâavoir un discours digne du PMU⊠Je mâexplique :
DĂ©jĂ , beaucoup dâeffets de manche, chez lui et chez le journaliste qui lâinterviewe âcette crise inĂ©dite dans lâhistoire de la Franceâ, âun Ă©vĂ©nement charniĂšre de cette envergureâ ⊠mais ils mentionnent les Ă©meutes de 2005, donc câest pas aussi inĂ©dit que ça, non ?
âCar, vous lâavez rappelĂ©, quand un groupe humain cherche Ă sâinstaller chez un autreâ ??? câest la rhĂ©torique simpliste des nationalistes, je mâattendrais Ă un discours et surtout une vision un peu plus subtile chez quelquâun qui a un minimum Ă©tudiĂ© le phĂ©nomĂšne de lâimmigration en France. Et avec des petites phrases âquand les appartenances relĂšvent de civilisations diffĂ©rentesâ câest vraiment dans la veine des bas du front cette interviewâŠ
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Pierre Brochand a Ă©tĂ© directeur gĂ©nĂ©ral de la DGSE (Direction gĂ©nĂ©rale de la sĂ©curitĂ© extĂ©rieure) de 2002 Ă 2008, ainsi quâambassadeur de France, notamment en Hongrie et en IsraĂ«l. Sa parole est extrĂȘmement rare dans les mĂ©dias. En exclusivitĂ© pour Le Figaro Magazine, il livre son regard sur les Ă©meutes, un moment charniĂšre de notre histoire.
Selon lui, nous vivons la rĂ©volte contre lâĂtat national français dâune partie significative de la jeunesse dâorigine extra-europĂ©enne prĂ©sente sur son territoire. Cette explosion est le rĂ©sultat de dĂ©cennies dâaveuglement et de propagande envers une immigration de peuplement dont on nâa jamais mesurĂ© les consĂ©quences. Il analyse le cocktail fatal que devait constituer la rencontre entre une sociĂ©tĂ© des individus fondĂ©e sur lâouverture et la dĂ©mocratie et lâarrivĂ©e de diasporas entiĂšres au bagage culturel totalement diffĂ©rent. Est-il trop tard?
Auteur dâune intervention remarquĂ©e Ă lâAmicale gaulliste du SĂ©nat, lâancien directeur de la DGSE - qui est intervenu lors dâun colloque de la Fondation Res Publica sur le thĂšme: «Pour une vĂ©ritable politique de lâimmigration» - invite Ă ne pas commettre les mĂȘmes erreurs que par le passĂ© et livre ses pistes pour sortir de cette crise inĂ©dite dans lâhistoire de la France.
LE FIGARO MAGAZINE. - Dans votre intervention au SĂ©nat en novembre 2022, vous Ă©voquiez plusieurs scĂ©narios provoquĂ©s par lâimmigration incontrĂŽlĂ©e qui sĂ©vit dans notre pays depuis des annĂ©es: interdiction, absorption, nĂ©gociation, sĂ©paration, affrontement. Les Ă©meutes qui se sont produites pendant cinq jours montrent-elles selon vous que câest le scĂ©nario de lâaffrontement qui domine?
Pierre BROCHAND. - Au vu de ce qui sâest passĂ© ces jours derniers, jâaurais du mal Ă vous contredire. Je voudrais aussi indiquer dâentrĂ©e de jeu que je nâai pas lâhabitude de commenter lâactualitĂ© Ă chaud, source dâerreurs ou dâĂ -peu-prĂšs. Mais quand les circonstances imposent Ă lâesprit un Ă©vĂ©nement charniĂšre de cette envergure, il est difficile de rĂ©sister Ă la tentation.
Pour en revenir à «lâaffrontement», il survient inĂ©luctablement lorsque tout le reste est abandonnĂ©, inopĂ©rant, dĂ©passĂ©. Car, vous lâavez rappelĂ©, quand un groupe humain cherche Ă sâinstaller chez un autre, il nây a que cinq possibilitĂ©s. Reprenons-les briĂšvement, afin de remonter la chaĂźne des causes qui conduit Ă nos malheurs dâaujourdâhui.
«Lâinterdiction», Ă savoir la fermeture des frontiĂšres au nom du principe de prĂ©caution (la voie polonaise), nâa jamais Ă©tĂ© sĂ©rieusement envisagĂ©e chez nous, les frĂšres jumeaux de lâhumanisme et de lâĂ©conomisme se donnant la main pour y veiller.
De mĂȘme, lâ«assimilation» a Ă©tĂ© rapidement abandonnĂ©e, sans tambour ni trompette, par renoncement Ă nous-mĂȘmes, mais aussi nĂ©cessitĂ©, face Ă des flux trop massifs pour quâelle puisse fonctionner.
DâoĂč lâenthousiasme pour «lâintĂ©gration», sorte de compromis miracle, dâinspiration anglo-saxonne, oĂč chacun fait un pas vers lâautre, tout en gardant son quant-Ă -soi. Force est de reconnaĂźtre que cette dĂ©marche nâa que mĂ©diocrement rĂ©ussi en France. Dâune part, et Ă lâinverse de lâassimilation, le contrat minimal qui la sous-tend - «respect des lois» contre «emploi» - fait peser lâessentiel de lâeffort sur le pays dâaccueil, en matiĂšre de dĂ©bours financiers comme dâentorses Ă ses principes (mĂ©rite et laĂŻcitĂ©). Dâautre part, lâaccĂšs au travail ne peut ĂȘtre que limitĂ©, pour des immigrants Ă trĂšs faible qualification et qui, parfois, sâauto-excluent du marchĂ© pour des raisons qui leur sont propres. De sorte que les «intĂ©grĂ©s», certes plus nombreux que les «assimilĂ©s», ne sont pas pour autant majoritaires.
La «sĂ©paration» nâest que le rĂ©sultat de ce bilan insatisfaisant. Ce qui nâest guĂšre surprenant, puisque la partition est la pente naturelle de toute sociĂ©tĂ© «multi», oĂč chacun vote avec ses pieds et se recroqueville auprĂšs des siens. Je ne connais pas dâexception Ă cette rĂšgle dâairain, en particulier quand les appartenances relĂšvent de civilisations diffĂ©rentes. RĂšgle qui se borne, dâailleurs, Ă acter lâeffondrement de la confiance sociale, proportionnel Ă la «diversité» ambiante.
Câest ainsi que se constituent les «diasporas», noyaux durs, ni assimilĂ©s, ni intĂ©grĂ©s, Ă tendance non coopĂ©rative, vĂ©ritables poches du tiers-monde, oĂč se dĂ©veloppe une double dynamique de dissidence, sans corde de rappel. Dâun cĂŽtĂ©, la pression sociale que gĂ©nĂšrent ces entitĂ©s, en faveur des mĆurs, croyances et modes de vie dâorigine, les Ă©carte de plus en plus de ceux du pays dâaccueil: dâoĂč un phĂ©nomĂšne de divergence gĂ©nĂ©rationnelle, jamais vu auparavant, mais que les troubles actuels valident sans discussion. Dâun autre cĂŽtĂ©, ces enclaves ne cessent de sâauto-engendrer, en «boule de neige», grĂące Ă un taux dâaccroissement naturel Ă©levĂ© et un engrenage dâaspiration juridique par le biais, entre autres, du regroupement familial.
Cette marche vers la sĂ©cession a tĂ©tanisĂ© nos Ă©lites, qui en ont vite perçu le potentiel explosif. Mais, au lieu de la bloquer, puis de mener une stratĂ©gie patiente de roll back, elles se sont contentĂ©es dâun containment Ă court terme, Ă coups de subventions et reniements clientĂ©listes, enrobĂ©s dans un discours fumeux de dĂ©nĂ©gation ou dâeuphĂ©misation, visant Ă acheter la paix sociale au jour le jour.
Mais tant va la cruche Ă lâeau quâelle se casse. Quand les diasporas, en gonflant dĂ©mesurĂ©ment (au bas mot 5 millions dâadmissions supplĂ©mentaires depuis 2005), atteignent une masse critique qui les rend confusĂ©ment conscientes de leur force irrĂ©sistible, quand les compromissions et les concessions unilatĂ©rales deviennent autant dâaveux de faiblesse appelant Ă la transgression, quand ces contre-sociĂ©tĂ©s portent lâaudace Ă sâĂ©riger en souverainetĂ©s concurrentes sur un mĂȘme espace «un et indivisible», eh bien, le couvercle de la Cocotte-Minute finit par sauter, dĂšs que lâoccasion se prĂ©sente.
En 2005, une premiĂšre Ă©ruption en chaĂźne avait servi dâavertissement. Hors la tentative dâapaisement budgĂ©taire par la «politique de la ville», il nâen a Ă©tĂ© tenu aucun compte. Le dĂ©chaĂźnement des jours derniers, dâune tout autre envergure, nâest que lâaboutissement de cet aveuglement.
LF:
Quâest-ce qui vous semble diffĂ©rent par rapport au scĂ©nario de 2005?PB: Je veux ĂȘtre honnĂȘte avec vos lecteurs. Je ne possĂšde aucune information quâils nâont pas. Je mâefforce seulement dâanalyser les choses, selon deux principes trĂšs simples: dâune part, les causes entraĂźnent des consĂ©quences («ce qui doit arriver arrive»), dâautre part, le seul critĂšre dĂ©cisif pour Ă©valuer une situation de conflit est le rapport de force. Il nâest pas inutile de rappeler, dâabord, que des Ă©meutes isolĂ©es sont monnaie courante depuis quarante ans, aux quatre coins du pays, sous lâĂ©tiquette technocratique de «violences urbaines». Au point que plus personne ne leur prĂȘte attention, comme si elles faisaient partie du paysage. Erreur fatale.
Lâembrasement de 2005 nous a enseignĂ© quâil suffisait dâune Ă©tincelle pour mettre le feu Ă la plaine. On a donc retrouvĂ© ces jours-ci plusieurs traits de ce qui sâest passĂ© il y a dix-huit ans.
MĂȘme dĂ©marrage, consĂ©cutif Ă une prĂ©sumĂ©e «bavure» policiĂšre. MĂȘme violence polymorphe Ă triple finalitĂ©: «mĂ©tapolitique» (contre tout ce qui reprĂ©sente la France et son Ătat), utilitaire (pillages dâenvergure), gratuite (vandalisme nihiliste). MĂȘmes auteurs quasi-exclusifs: les jeunes hommes de banlieue, oĂč ils font rĂ©gner la loi du plus fort. MĂȘme ressemblance apparente avec les flambĂ©es racialisĂ©es des «ghettos» amĂ©ricains. MĂȘme prĂ©dilection pour la nuit, Ă lâinstar de toutes les guĂ©rillas du monde. MĂȘme cadre exclusivement urbain.
MĂȘme restriction, de part et dâautre, quant Ă lâusage des armes les plus lĂ©tales, Ă la diffĂ©rence, cette fois, des Ătats-Unis. Mais, aussi, mĂȘme impuissance des forces de lâordre, pourtant mobilisĂ©es Ă leur maximum, Ă calmer une mer dĂ©montĂ©e. On veut Ă©galement croire au caractĂšre pareillement spontanĂ© de cette explosion «façon puzzle», sans coordinateur national, ni encadrement militant: on ne discerne toujours pas de comitĂ© central, de «shura» islamique ou de syndicat de dealers, Ă la manĆuvre derriĂšre les «casseurs». On ne discerne pas non plus lâĂ©mergence dâun mouvement ayant le retentissement et la pĂ©rennitĂ© de «Black Lives Matter», la tentative de rĂ©cupĂ©ration initiale par le clan TraorĂ© relevant de la parodie.
Mais, au-delĂ de ces similitudes avec le passĂ©, les diffĂ©rences sont Ă©clatantes et vont toutes dans le sens dâune exceptionnelle aggravation de «quantité», mais aussi de «qualité».
En termes dâamplitude, les statistiques officielles donnent Ă penser - aux historiens de le vĂ©rifier - que rien de comparable ne sâest produit dans les villes françaises depuis la RĂ©volution de 1789 ou, au minimum, les semaines ayant suivi la LibĂ©ration. En particulier, on ne peut ĂȘtre quâeffarĂ© par lâextraordinaire prolifĂ©ration de la dimension dĂ©linquante, sorte de jaillissement paroxystique de la surcriminalitĂ© endĂ©mique des diasporas. Malheureusement, ces informations taisent le nombre de protagonistes, que lâon peut Ă©valuer trĂšs approximativement entre 100.000 et 200.000 personnes (en appliquant le ratio optimiste de 1 % aux effectifs apprĂ©hendĂ©s chaque nuit). Estimation au doigt mouillĂ©, mais qui permet, au moins, de mettre en doute le clichĂ© rassurant de «lâinfime minorité».
LF:
Quels sont les changements de nature de ces Ă©meutes?PB: Ils sont, Ă mon avis, de trois sortes.
Le premier tient au rÎle décuplé des réseaux sociaux, devenus à la fois des accélérateurs de concurrence mimétique et des multiplicateurs de transparence en temps réel. Impact malaisé à mesurer, mais probablement majeur.